Après la découverte de Death Note, je me suis fortement intéressé à ce genre de mangas, comparables dans le fond aux mangas de baston ou de sport, mais focalisant l’admiration du lecteur sur des cerveaux plutôt que sur des muscles. Et vu le nombre de perles que je compte parmi mes trouvailles, un petit tour d’horizon s’impose.
Mon premier contact – et celui de beaucoup – avec le côté obscur des shônens, où tactiques et manipulations viennent remplacer les sempiternelles démonstrations de force. Et quel contact! Tout le manga s’axe autour de l’affrontement entre un mystérieux enquêteur, dont personne ne connaît l’identité, et un criminel capable de tuer à distance par crise cardiaque. Efficace, rusé et bien rythmé, voilà un shônen duquel on ne décroche pas facilement. Et, outre quelques incohérences mineures, je n’ai pas grand-chose à reprocher à Death Note, du moins dans sa première moitié. Car par la suite, il s’enlise dans des imbroglios réflexifs douteux où le vainqueur est celui "qui avait prévu que l’autre avait prévu qu’il avait prévu…". Fait regrettable, certes, mais pas suffisamment pour ternir l’ensemble, qui reste malgré tout d’excellente facture. Et ce notamment grâce au tour de force de Tsugumi Ohba, qui – pour maintenir tension et suspense – est parvenu à placer les deux adversaires sur un pied d’égalité, là où pas mal de scénaristes se seraient surpris à orchestrer un duel à sens unique.
Usogui. Littéralement "le mangeur de mensonges". Il y est question d’organisations souterraines, de jeux d’argent illégaux, et d’un ambitieux qui compose quotidiennement avec tout cela. Rien de très original, donc, dit comme ça, et pourtant l’atmosphère est des plus singulières. Car tout est trop sombre et trop dément pour vraiment mettre mal à l’aise, un peu à l’instar du gore qui, à l’excès, fait plus rire qu’il ne fait peur. Et finalement, on se retrouve en face d’une beauté formelle, d’un spectacle visant l’efficacité, qui ne se prive pas d’emphase pour rendre une scène plus excitante ou un personnage plus classe. Pour le reste, l’esthétique est impeccable, le scénario relativement fouillé, et les différents jeux et stratagèmes plutôt bien pensés. Les scènes d’action et de combat, quant à elles – parce que oui, il y en a – sont peu intéressantes en soi, mais créent un sentiment d’insécurité qui participe à rendre le manga spectaculaire. Car dans cet univers, si remporter un pari est une chose, repartir vivant avec ses gains en est déjà une autre…
Parmi tous les titres de cette sélection, c’est clairement dans Liar Game qu’on trouve les raisonnements les plus compliqués. Et paradoxalement, ce sont aussi les mieux expliqués, Shinobu Kaitani usant et abusant de schémas récapitulatifs pour s’assurer que son lecteur arrive à suivre. Cependant, la complexité des situations n’est jamais gratuite, et amène bien souvent une solution bête comme chou que personne n’avait vu venir. Car l’auteur, de façon à constamment surprendre son lectorat, aime faire en sorte que l’action la moins instinctive soit aussi – ironiquement - l’astuce salvatrice. Si bien que ce manga est une véritable une collection de jeux de circonstances très particuliers, faisant d’"évidence" un synonyme de "piège", et permettant des dénouements et des rebondissements aussi impensables que jouissifs. Ajoutez à cela des affrontements psychologiques parfaitement équilibrés, en cela que le héros rencontre autre chose que des faire-valoir, et vous comprendrez peut-être pourquoi je le considère comme le meilleur manga de cette sélection.
Le haut du panier, tout simplement.
Il s’agit là du premier manga de Shinobu Kaitani. Et déjà à l’époque, notre homme était friand d’affrontements intellectuels et psychologiques, si bien qu’il a choisi de dessiner un manga sur le baseball. Eh oui, le baseball. Sûr que le choix a de quoi surprendre, et « En quoi un match de Baseball peut-il constituer une bataille essentiellement stratégique? » est la question qui, à la découverte du manga, motivera tout lecteur normalement constitué. Mais, une fois la réponse obtenue et la surprise passée, une certaine monotonie s’installe, due à ce que je pourrais appeler le syndrome Sega, et qui tient au fait que le personnage principal est implicitement posé comme invincible. En effet, Tokuchi Toua – puisque c’est ainsi qu’il s’appelle – n’a aucun rival, aucune faiblesse, et remporte la victoire sans jamais suer une goutte, quand bien même sa propre équipe tenterait de lui mettre des bâtons dans les roues. En bref, « Toua, c’est plus fort que toi ». Et quand le suspense se transforme en attente d’une victoire prédéterminée, il m’est d’avis que le plus grand perdant est le lecteur. Après, il est vrai que One Outs reste très rafraichissant, particulièrement malin, et qu’il m’a largement amusé. Seulement, dans le genre, on peut faire beaucoup mieux.
L’OVNI du lot, assurément. Ne serait-ce qu’esthétiquement, les visages triangulaires aux proportions délirantes de Nobuyuki Fukumoto ont de quoi choquer le lecteur non averti. Mais si ce dernier fait l’effort d’aller au-delà des apparences, alors il profitera d’une œuvre riche de sens, infiniment plus que tous les autres mangas de cette sélection. Kaiji est en effet une satire qui raconte comment, suite à la contraction d’une dette astronomique, un homme ayant sombré dans la délinquance, l’alcoolisme et l’oisiveté va également sombrer dans le jeu. Et ce personnage principal, courageux bien que très malchanceux, et pour lequel on se découvre énormément d’empathie, se révèle idéal pour faire ressentir les émotions et l’intensité d’un pari où l’on joue sa vie. Une intensité d’autant plus forte que les jeux en question sont davantage retors et piégeux qu’ils sont stratégiques, et que l’auteur – en application assidue de la loi de Murphy - fait tout pour enfoncer notre pauvre endetté. Donc au final, le manga est très prenant, affreusement tragique et – bon sang que c’est rare – profond.
Un incontournable du genre.
Ce manga-ci rompt un peu, dans l’esprit, avec le reste de la sélection, mais je ne pouvais pas ne pas en parler. Car Hikaru No Go propose à ses lecteurs de découvrir le plus ancien jeu de stratégie connu à ce jour : le jeu de go. Et si sa pratique, essentiellement japonaise, se popularise en Occident, il y est clairement pour quelque chose. En effet, suivre le parcours d’un jeune garçon qui se découvre petit à petit une fascination pour le go n’est pas sans éveiller quelque curiosité. Surtout quand l’authenticité de ladite expérience et de ce qu’elle a de technique est assurée par Yukari Umezawa, une joueuse professionnelle des plus passionnées. Le dessin profitant quant à lui du trait irréprochable de Takeshi Obata - à qui l’on doit, pour rappel, les planches de Death Note - il semble bien qu’Hikaru No Go ait tout pour lui. L’erreur à ne pas faire, finalement, consiste à passer à côté du manga faute de connaître le go, car ce sont justement les non-initiés qui sont ciblés.
À découvrir absolument.
"There is, through the art of game design, some kind of observation about that universe that is not accessible in the same way from other media. If I can get that, then I don't even care about the game mechanic. If I can do that in a first-person shooter that looks exactly like Doom 3 then I would do it."