Expliquer pourquoi on est contre l’arbitrage vidéo, c’est toujours se mettre dans une situation en soi assez révélatrice du problème : on fait ainsi quasi-systématiquement face à des gens qui vous regardent avec des yeux tout ronds, comme si vous veniez de dire que vous n’êtes pas favorables à la protection des dauphins, ou que vous vouliez mettre un high kick à Oui-oui. Comme si la vidéo dans le foot était une évidence. Or, non, ça n’a rien d’évident – c’est même plutôt contre nature – et si tant de gens peu connaisseurs de ce sport en font un outil arbitral incontournable, c’est bien parce qu’il circule un nombre d’idées reçues à son sujet qu’il convient de battre en brèche. Je vais modestement essayer.
Premièrement, je pense que trop de gens imaginent que la vidéo apporte des preuves indiscutables. Mais la stricte vérité, c’est que la plupart du temps, les images passées 10 fois au ralenti par ces branleurs de « spécialistes » chez Canal + sont tout autant discutées que les actions à vitesse réelle. C’est la façon dont elles sont commentées qui donne l’illusion qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Selon sa sensibilité et ses partis pris, on va en effet pouvoir (souvent) voir dans les images ce qu’on a envie de voir, parce qu’arbitrer, c’est interpréter. Quiconque connaît le règlement sait que beaucoup de fautes n’en sont que si l’arbitre y voit quelque chose de répréhensible. Pour tout ce qui concerne notamment les contacts, on est très loin du fait objectif qui pourrait se passer d’un jugement humain, et en cela, la vidéo ne peut pas décider à la place d’un Homme. Tout ce qu’elle pourrait faire – sauf cas minoritaires sur lesquels je reviendrai – c’est offrir la possibilité de revoir une action qui aurait échappé à l’arbitre. Parce qu’il était trop loin, ou qu’un obstacle obstruait son champ de vision etc. Alors la vidéo en tant que béquille, en tant que « bouée de sauvetage », si l’arbitre lui-même décide qu’il n’a pas été un témoin suffisamment actif de la scène, c’est envisageable. Ça ne rend pas les images plus infaillibles, mais dans l’absolu, pourquoi pas. À ceci près qu’il faut définir comment on coupe le jeu, et évidemment par conséquent comment on le fait reprendre. Pour un hors-jeu litigieux, vous faites quoi avec vos images une fois que l’action a été stoppée ? Encore plus drôle : en cas de but refusé parce que finalement, les images révèleraient un hors-jeu « limite » qui avait échappé à la vigilance de l’arbitre, est-ce que vous imaginez sincèrement que ça ne va pas râler encore plus ? Le « révélateur » de hors-jeu, tant apprécié par Canal – vous savez, cette ligne imaginaire collée sur l’écran qui est censée montrer, à l’instant exact où la passe est délivrée, qui est hors-jeu et qui ne l’est pas – a maintes fois été critiquée, voire défoncée, puisqu’elle n’est jamais une preuve. Il suffit qu’on ait arrêté l’image un poil trop tôt ou trop tard, ou encore que la perspective écran ne soit pas respectée par cette « ligne » grossièrement posée, pour que la pseudo-évidence change de visage. Et vous savez pourquoi ? Parce que cette ligne à la con est arbitrairement – tiens donc – placée par un réalisateur Humain, faillible par définition, et qui comme le mec en noir sur la pelouse, peut tout à fait se tromper. Sauf que c’est acquis : on ne criera jusqu’à l’insulte qu’à l’attention de celui qui porte le sifflet. A contrario, la mise en scène que requiert le match télévisé, avec ses artifices multiples, n’est jamais remise en cause.
Mais moi, j’ai trop souvent vu des tacles repassés en boucle au ralenti, qui suscitaient tant des « Y’a péno ! Il lui arrache la jambe » que des « Y’a jamais péno ! C’est un tacle rude, mais il prend d’abord le ballon », démontrant bien que les images ne mettent pas toujours tout le monde d’accord, loin de là. J’ai même vu – tout le monde a vu, en fait – un arbitre se faire mondialement incendier lors de la coup du monde 98, quand pendant le match Brésil-Norvège, un penalty est accordé aux Norvégiens. Une décision lourde de conséquences, qui éliminera indirectement une tierce équipe du même groupe. Tout ça pour une faute que les images prétendues infaillibles de toutes les télévisions du monde décrèteront inexistante. Le mec est traîné dans la boue, au point qu’il en sera durablement et sévèrement affecté. Puis débarquent quelques jours plus tard les images isolées d’une seule et « modeste » caméra, présentant l’action sous un jour nouveau, et révélant finalement une faute qu’aucune des nombreuses autres caméras présentes (et hyper sophistiquées) ce jour là n’avait décelé. L’irréfutable ne l’est finalement plus, littéralement du jour au lendemain.
Alors encore une fois, si l’arbitre estime avoir besoin d’une anti-sèche pour l’aider, lorsqu’une action lui a échappé, pourquoi pas. Ce que je dis – et plus j’y réfléchis, plus j’en suis persuadé – c’est que l’aide technologique, alors qu’elle est présentée comme l’outil ultime éliminant les injustices et permettant l’arbitrage quasi-parfait, révèlerait alors sa grandissime insignifiance. Parce qu’au final, les polémiques arbitrales continueraient certainement d’exister dans des proportions infiniment proches de celles qu’on connaît aujourd’hui, et ce pour une raison simple : les images s’interprètent tout autant que le jeu lui-même.
Reste le cas isolé du ballon qui a franchi la ligne ou non, pour lequel la vidéo semble effectivement trancher de manière nette sur quelque chose d’essentiel. Sauf que ça concerne grosso modo un match tous les 2 ans, et que l’essentiel du débat n’est pas là. Mais oui, on peut la mettre en œuvre pour ce cas précis, si ça peut soulager des Franck Leboeuf et consorts.
Après, et au risque de te surprendre encore, je trouve que l’aspect « discutable » du jeu en fait l’intérêt. Que l’on puisse se prendre la tête à débattre du fait qu’il y avait faute ou pas, péno’ ou pas, ça fait partie du folklore du sport en général. L’objectivité pure et parfaite n’est pas juste impossible, elle n’est même pas tant souhaitable à mes yeux. C’est un peu comme si on interdisait les méchants et les injustices dans les films : on se ferait chier. Et qu’il existe des Materazzi, des Van Bommel et autres joueurs caractériels, parfois haïssables en dehors de leurs qualités de Footeux, ça participe aussi à la dimension tragique d’un match. La main de Maradona, personne ne te dira que c’est bien, mais qu’on le veuille ou non, ça fait partie de l’Histoire d’un sport qui a ses joueurs exemplaires et ses petites putes, ses coups de génie et ses fourberies. C’est ce qui fait tout le sel des troisièmes mi-temps : on parle de tout, y compris de ce qu’on a trouvé moche.
Le monde des Bisounours sur un terrain, très peu pour moi, et ça m’agace assez rapidement les discours moralistes sur la pseudo exemplarité des joueurs, les valeurs dégoulinant de niaiserie relevant soit disant du plus strict devoir des professionnels etc. D’autant qu’un mec irréprochable ne s’apprécie à sa juste valeur que parce que son contraire existe. Dans Captain Tsubasa, tout le monde n’est pas le gentil garçon qu’incarne le rôle-titre. Sinon ça n’aurait eu aucun intérêt. Et bah le vrai Foot, ça ne s’en éloigne pas tant que ça.
PS : Et qu’on ne me parle pas de la vidéo dans le Rugby, parce que là, je vous refais 30 lignes facile