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Nirvana - Montage of Heck

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Nirvana - Montage of Heck

Messagepar Yoan » Sam 23 Mai 2015 16:31

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Alors qu’on avait ce sentiment presque étouffant que tout avait été dit, écrit, sorti, redit, réécrit, ressorti sur le mythe Cobain, voilà qu’on nous promettait une nouvelle claque. Un documentaire de 2h30 (!) coproduit par Frances Bean Cobain elle-même, réalisé par Brett Morgen, avec la bénédiction – et c’est une première – de l’entourage de Kurt, familial y compris. La précision n’est pas anodine, je crois que ni l’un ni l’autre de ses parents n’étaient jamais apparus dans le moindre reportage ni n’avaient jamais donné la moindre interview.
On n’en voudrait cependant à personne d’y aller sur la pointe des pieds, Nirvana ayant déjà fait l’objet d’exploitations commerciales vaseuses donnant l’impression que les ayant-droits seraient allés jusqu’à se servir d’un enregistrement caverneux de Cobain en train d’accorder un banjo, s’ils avaient pu. Cette fois, on a ouvert en grand à Brett Morgen l’accès aux documents les plus intimes de la vie de Cobain : des années de souvenirs triés dans des cartons, avec une quantité relativement impressionnante de textes, dessins, illustrations, enregistrements musicaux ou personnels, dont on l’a laissé libre de faire l’utilisation qu’il souhaitait. De quoi craindre une énième surenchère dans l’impudeur, ce qui, d’une certaine façon, est effectivement le cas. C’est là toute la force et la limite de de ce documentaire jusqu’au-boutiste : il cherche à mettre à nu un homme, au-delà de la figure iconique que l’on connaît tous, avec les contradictions inhérentes et fondamentales que ce choix suppose. Certaines séquences particulièrement intimes transmettent ainsi au spectateur un malaise qui peut se trouver décuplé si on se figure bien à quel point Kurt Cobain vomissait l’idolâtrie béate dont il pouvait faire l’objet. Il était incapable de la comprendre avant même de songer l’accepter. Paradoxalement, et contrairement à ce que beaucoup ont toujours pensé, il fut néanmoins le premier artisan conscient du succès de son groupe. Il a certainement mésestimé les conséquences de son travail de sape en ce sens, mais il n’était pas cet artiste qui refusait de réussir. Il s’est au contraire appliqué à faire tout ce qu’il fallait pour voir Nirvana décoller. Il voulait être aussi bon que possible et surtout, il voulait que les autres le sachent. C’est une des contradictions que le docu’ met d’ailleurs très subtilement en lumière : Cobain ne supportait pas d’être discrédité et vivait les critiques de "Bleach" les moins sympa’ comme une humiliation. Son objectif était donc bien de botter des culs, d’impressionner son monde et d’avoir sa revanche sur une adolescence chaotique parsemée – tiens donc – d’humiliations mal digérées. C’est sa mère Wendy qui, semble-t-il la première, a compris ce qui se tramait, en découvrant le mix final de "Nervermind", tout fraîchement bouclé. De son propre aveu, elle se serait en effet mise à pleurer en lui disant qu’il n’était "pas prêt pour ça"…

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N'allez pas chercher plus loin le titre du documentaire. Selon Brett Morgen, c'est cette cassette, retrouvée au sein des affaires personnelles de Kurt Cobain, qui donnera toute son impulsion à la réalisation du film.

Bien sûr, c’est le divorce de ses parents qui fait figure de "traumatisme originel" et le docu’ ne se prive pas de le rappeler, tant cette fracture a semblé ouvrir une cicatrice qui ne se sera jamais refermée. Jusque dans les séquences les plus gênantes du film – on le voit plusieurs fois complètement défoncé, dans des situations intimes dont on se demande même comment elles ont pu être filmées – il est toujours décrit comme aussi amoureux de Courtney que résolu à fonder une famille unie. Dit comme ça, ça sonne comme de la psychologie de comptoir, mais c’est ce que le documentaire hurle sans arrêt, même au plus fort de la souffrance qu’il charrie. Peut-être ce sentiment est-il renforcé par le simple fait que Brett Morgen a de toute façon fait le choix de ne déborder que très peu du cadre familial et des très proches amis : "Je voulais des témoignages de gens qui auraient été là à son enterrement s’il était resté simple concierge" justifie-t-il d’ailleurs très clairement. Pour les amateurs de potins aimant tirer des conclusions hâtives, notons d’ailleurs que Grohl n’apparaît que succinctement dans des images d’archives et n’est jamais directement invité à s’exprimer, au contraire de Novoselic. Officiellement, cette absence s'expliquerait par des incompatibilités d'emploi du temps entre le réalisateur et l'ex-batteur, ce qui n'est pas complètement déconnant quand on connaît l'agenda du leader des Foo Fighters.

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Le rendu des scènes animées est l’œuvre de Hisko Hulsing

D’un point de vue plus formel, le travail de Brett Morgen dispose de l’immense avantage d’être esthétiquement réussi et réfléchi. S’agissant d’un sujet archi-épuisé depuis plus de 20 ans, opter pour un déroulé classique et didactique aurait été rédhibitoire, l’histoire du groupe comme de son frontman n’étant plus un secret pour personne. Le film ne se perd pas non-plus en extraits live, même si beaucoup l’ont regretté – à tort à mon sens, la discographie officielle et non-officielle de Nirvana se suffisant largement à elle-même de ce point de vue – et préfère alterner entre séquences animées plutôt habiles, atmosphères un brin glauques/psyché’, scènes d’époque et témoignages subtilement parsemés. C’est en partie ce qui explique pourquoi ça n’a pas été plus densément distribué en salles : ça n’a pas grand-chose du documentaire grand public qui se reçoit de façon passive. Il est volontairement elliptique, par moments très dur à regarder et complètement chevillé à son sujet. Jamais la tentation de se rendre plus facilement recevable ne vient troubler l’exigence du traitement de Morgen, lequel laisse transparaître une véritable admiration pour Cobain, au point d’ailleurs que l’on tend soi-même à accepter plus facilement le caractère voyeuriste des séquences les plus intimes que j’évoquais : elles ne donnent jamais l’impression d’être là pour de mauvaises raisons. Elles résultent d’une fascination pour un homme dont l’Art fut aussi omniprésent qu’incroyablement sincère. Tout ce que crée Cobain est une fenêtre ouverte sur ce qu’il vit. Et l'attraction est telle qu'on ne peut souvent que s'y engouffrer. C'est précisément ce que dit avoir ressenti Morgen en piochant dans les cartons de la famille Cobain : une sorte d'ensorcellement parfois chaotique, toujours hypnotique. Cherchant une profonde reconnaissance via sa musique tout en en repoussant les manifestations les plus vulgaires, Cobain était une énigme peut-être même pour lui-même. On quitte ce documentaire troublant finalement à peine mieux renseigné, mais plus fasciné que jamais. Et cette fois, une chose est sûre : il va être difficile de passer après ce "Montage Of Heck", même s'il n'est pas improbable d'imaginer que d'autres essaieront.
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