Mais le travailleur social s'inscrit forcément dans le politique, son action a forcément une portée politique et il est formé à ça, même si on tend de plus en plus à en faire un mouton qui applique les politiques décidées en haut lieu...ce ne sont pas des bénis oui oui invertébrés.
Après, je pense qu'on ne peut pas confondre sur le terrain le militantisme et le professionnel..C'est impossible de nos jours sauf si les associations ne dépendaient plus de fonds publics. Sauf que si tel était le cas, ça me poserait aussi un problème éthique car où serait alors la solidarité nationale ? Et ça serait la porte ouverte aux dérives déjà bien en place mais qui là se développeraient de manière exponentielle (mise en concurrence des associations entre elles (c'est déjà le cas, ou alors les associations s'absorbent entre elles pour créer des grosses associations, et ça c'est une volonté politique. ) et des professionnels entre eux (on y vient)).
Après, un éducateur (exemple tiré au hasard
) peut avoir un engagement et le faire passer de manière individuelle aux gens qu'il accompagne car il accompagne vers la citoyenneté et le politique au sens large..de là à militer, c'est impossible. Clairement. On dépend des conseils généraux, des mairies, de la DDCS, etc.. à qui on rend des comptes plusieurs fois par an, qui nous évaluent (sans rien comprendre à ce qu'on fait mais bon) afin de reconduire ou non le financement l'année d'après. Mon cas est encore un peu spécial puisque j'ai beau être en CDI, tous les ans il se peut que le conventionnement de l'association ne soit pas reconduit. J'imagine un seul instant mon asso alliée à ATTAC : six pieds sous terre, bye bye le social et bonjour le bénévolat avec des gens non formés prêt à dire oui à tous les politiques qui leur diront quoi faire.
Le plus gros soucis qu'on ait aujourd'hui dans le secteur, c'est que nous ne sommes jamais consultés alors que nous sommes autant en première ligne que les flics. On a un potentiel de contre pouvoir auprès des populations dont les politiques locaux sont conscients mais reste que quand il y a un problème dans les quartiers, sur un plan national, on consulte qui ? des flics ou des expert en sécurité qui entravent rien aux problématiques de ces quartiers, des jeunes et des familles.
L'histoire du travail social a un pied dans la charité et l'autre dans le contrôle des populations mais il s'est professionnalisé et a vu naître des travailleurs sociaux experts en ces questions de terrain, concrètes, complexes. Mais la complexité, on veut pas y croire. Tout de suite on nous renvoie la fameuse "excuse sociale" ou l'assistanat.
Je peux développer ou préciser si c'est pas clair parce que là si je pars en free lance, j'suis pas couchée.
Mais en gros, ça résume :
Il s’appelle Xavier Bouchereau, il a été éducateur spécialisé pendant 10 ans et dirige aujourd’hui un service de protection de l’enfance. Il vient de publier, Les non-dit du travail social, (Eres, 2012). Ce matin, j’ai ouvert son livre placé sur ma pile de bouquins « à lire » (je prépare un numéro sur « Enfer et bonheur au travail ».
Dès le préambule, j’ai reçu un coup de poing.
« Pendant dix ans, j’ai exercé le métier d’éducateur spécialisé dans un service de protection de l’enfance. Comme chacune de mes collègues, j’assumais en continu trente mesures d’assistance éducative en milieu ouvert ordonnées par le juge des enfants. (…)
Durant ces années, j’ai essayé d’aider les parents et leurs enfants. Je suis allé dans les familles, au tribunal, au commissariat, dans les écoles, à l’hôpital, dans les foyers, dans les bars, dans des lieux improbables. J’ai pris des risques dans la rue, je me suis réfugié dans mon bureau. J’ai monté des escaliers, je les ai descendus. J’ai connu des portes, des milliers de portes, des portes ouvertes, des portes fermées, des portes de maison, des portes de HLM, des portes de caravane, des portes de prison… J’ai vu pleurer des mères, j’ai vu des pères en colère, des colères froides, d’autres incendiaires, des colères salutaires… J’ai pris des coups, j’ai porté plainte, j’ai placé des enfants, j’ai soutenu leur retour. J’ai contrôlé, j’ai fermé les yeux, j’ai humilié des parents, je me suis battu pour qu’ils ne le soient plus. J’ai écrit des rapports, j’en ai bâclés, j’en ai réussis, je les ai lus aux parents, j’en ai parlé au juge, j’ai écouté, je me suis tu, j’ai fait taire. J’ai rencontré des catholiques, des juifs des musulmans, des témoins de Jéhovah, des agnostiques, j’en ai rencontré qui s’en foutaient. J’ai suivi des riches, des très riches, j’ai suivi des pauvres, surtout des pauvres. On m’a dit merci, on m’en a voulu on m’a offert des chocolats, on m’a reçu le couteau à la main. J’ai été heureux, triste, honteux, révolté, courageux, lâche, fier , désabusé, j’ai quitté les rangs, j’y suis retourné. J’ai résisté, j’ai cédé, je me suis agenouillé, je me suis redressé. J’ai espéré. Bref, toutes ces années j’ai été humain…à ne plus savoir que faire ».
Le reste du livre aborde les contradictions du métier d’éducateur: la dimension militante d’un engagement professionnel, les doutes et les tensions du métier, les lourdeurs et illusions des évaluation, etc. Chaque chapitre est entrecoupé d’extraits de son journal de bord. Ces passages font mouche à chaque fois.
http://www.dortier.fr/travailleur-socia ... ion-a-vif/
"Former les hommes, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu." Aristophane.