Aller, je relance le topic interdit.
Et j’indique d’emblée que j’ai craqué, et que pour la première fois depuis 2005, je ne voterai pas blanc à une élection. En tout cas pas au premier tour de ces Présidentielles.
Ma voix ira au Front de gauche, à titre purement symbolique, car je reste persuadé que le jeu politique institutionnel est cruellement faussé. Il l’est à vrai dire à tel point que Mélenchon l’admet lui-même du bout des lèvres, quand on l’interroge sur ses moyens d’action : à la question, "mais comment allez-vous faire ?" il répond systématiquement que la France est un grand pays, et qu'il devra montrer la voie aux autres. Autrement dit, il reconnaît là qu'un pays (très) à gauche, seul perdu au milieu de nations toujours dévouées au libéralisme débridé, c'est un peu le suricate face à une armée de loups. On lui rétorque alors que c'est impossible, et que l'enchaînement vertueux qu'il dit espérer est une chimère. De façon tout aussi systématique, il termine avec un "dans ce cas-là, rentrons tous pleurer et arrêtons de faire de la politique". Dans le fond, je lui donne tout à fait raison, et il défend en tout cas ce qui me semble juste. Concrètement, je pense qu’il sait très bien qu’il lui faudrait au moins deux mandats pour commencer à peser, ce qui est inimaginable aujourd’hui. On est en plein dans une espèce de perversion systémique qui fait qu'une infime partie du spectre politique bénéficie d'issues concrètes pour transformer ses idées en actes. Et je suis toujours assez effaré de constater que face à ça, les gens préfèrent souvent blâmer les "idéalistes", plutôt que de remettre en cause des aberrations structurelles qui interdisent certaines idées ailleurs que dans des débats théoriques.
C’est pourtant un constat grave, et ça pose la question terrible des issues concrètes des politiques de gauche, dans un monde de droite. Les idées ne sont rien – ou pas grand-chose – sans l’action. Et pour un parti, pas d’action sans accès au pouvoir. Or, je pense personnellement que n'y accèdent que ceux qui se résignent à ne pas déborder du cadre idéologique propret autorisé par une machine institutionnelle complexe. De fait, ça exclut les politiques de "la gauche de la gauche", puisque d'une part on aura tôt fait de les faire passer pour des rigolos à qui on aime tant dire "soyons sérieux", et puisque d'autre part, tout l'appareil économique transnational fonctionnant selon un credo libéral érigé en règle absolue, c'est comme si on essayait de faire rentrer un carré dans un triangle. C’est là que je pense qu’une oligarchie de droite dirige le monde, et qu’en cela notre « démocratie » est déjà terriblement dévoyée, mais j’aurai l’occasion d’y revenir.
Mais Mélenchon est tellement structuré intellectuellement en comparaison de ses adversaires, que je me suis dit que j’allais mettre mes principes au placard au moins pendant un tour, au risque de le regretter très vite. Le PS, honnêtement, c’est hors de question. En d'autres temps, j’aurais peut-être été plus conciliant avec ce parti, mais faut quand même voir à quoi ça ressemble aujourd'hui, et que si ça n'avait pas été Hollande, l'homme aux mille vestes retournables, qui était aujourd'hui en pôle au PS, c'était DSK. Voter DSK quand on est antilibéral, ça demande quand même une faculté d'abstraction qui me fascine. Et je dis « antilibéral » parce que c’est l’idée que je me fais de la gauche telle que je la conçois. Et là faut arrêter d’imaginer des communistes primaires, un parti antilibéral, c’est un parti qui a des vues en matière d’économie qui correspondent tout simplement à ce que défendait Keynes en son temps. Et c’est ce que défendent également aujourd’hui notamment les économistes hétérodoxes, dont certaines pointures dont j’ai déjà parlé (Frédéric Lordon, notamment). Le PS est un parti fondamentalement néoclassique, comme l’UMP, et c’est ce qui fait que les rapprochements entre le Front de Gauche et le PS n’ont pas de sens idéologiquement parlant : ils ont une approche radicalement différente de ce qui constitue l’axe majeur d’un programme. La théorie du vote utile à gauche, si on ignore ce fossé idéologique, c’est juste bon pour les fanas du jeu politique à la calculette, et ça ne m’intéresse pas.
Et comme j’ai envie de finir sur une provocation, je crois que je préfère encore 100 fois un mec comme Dupont-Aignan – pourtant encarté UMP – à Hollande. Je l’ai entendu s’exprimer plusieurs fois, et toute position partisane mise à part, il a le mérite de s’élever très au-dessus de la mêlée en termes de structuration intellectuelle de la pensée politique. Et je me mets à sa place, ça doit être dur d’avoir pour chef l’espèce d’animateur de bistrot qui nous sert de Président.